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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/149

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tel oiseau à droite, d’avoir vu tel autre à gauche, etc. S’il ne s’agissait que d’être renseigné sur le point de savoir si la récolte sera bonne, on pourrait se résigner à travailler, faute de mieux, dans l’incertitude, surtout quand le temps presse, et que la saison des semailles va être bientôt passée. Pourtant on ne commencera pas, aussi longtemps que les présages requis n’auront pas été recueillis. C’est que les manifestations de l’oiseau ont, par elles-mêmes, une vertu mystique qui assure la récolte en même temps qu’elle l’annonce. Si elles n’ont pas eu lieu, la récolte ne peut pas se produire non plus.

(M. P., page 131.)

« Renversement » des mauvais présages.

Pour détourner les mauvais présages, tous les artifices sont bons. Par exemple, « si le faucon se montre du côté funeste pendant que les hommes sont en train de ramer, alors qu’ils sont déjà à quelques jours de distance de chez eux, et près d’un autre village, aussitôt ils font demi-tour, abordent au rivage et allument un feu (de remerciements). En changeant la direction du bateau, ils mettent le faucon à droite. Leur esprit ainsi satisfait, ils reprennent leur voyage comme auparavant[1]. » Conduite enfantine et absurde, si le faucon ne fait qu’apporter une mauvaise nouvelle, s’il annonce simplement ce qui doit arriver. Le « truc » imaginé par les Dayaks n’y changera rien. Mais si le faucon est le véhicule d’une force mystique, bonne ou mauvaise selon la région de l’espace d’où elle provient, il n’est pas du tout absurde de changer cette direction si on le peut, et de la rendre favorable au lieu de funeste. C’est, sur le plan des forces mystiques, une opération analogue à celle du mécanicien qui renverse la vapeur pour aller dans le sens contraire à celui où il marchait auparavant. Les remerciements adressés au faucon attestent le sérieux et la sincérité des Dayaks, qui interrompent leur navigation pour allumer le feu d’actions de grâces, et qui n’oseraient plaisanter avec l’oiseau sacré.

(M. P., pages 153-154.)
  1. A. C. Haddon, Head hunters, black, white and brown, p. 387.