Aller au contenu

Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malades près de leur fin : ils sont impurs, et il faut empêcher que leur souillure ne se communique à d’autres. De même, il leur sera interdit de se servir des ustensiles que d’autres auraient à toucher après eux, de manger à la marmite commune, etc. Si ces tabous ne sont pas observés, des malheurs ne manqueront pas de s’ensuivre, pour eux, et pour autrui. Non pas parce que le tabou violé exige la punition du coupable, mais parce que, du fait de cette violation, la mauvaise influence trouve le champ libre. Le tabou agit à la façon d’une barrière, d’un cordon sanitaire mystique, qui arrête une infection, également mystique. Tant que le cordon, la barrière, remplissent leur office, elle ne se propage pas. Mais que la barrière tombe, que le cordon soit rompu, rien ne s’oppose plus à son passage. Ainsi, l’impureté de la mort est extrêmement contagieuse. Il est donc très souvent interdit d’entrer dans un village où un décès vient d’avoir lieu. Si cette défense n’est pas respectée, la souillure se propage, et d’autres morts vont se produire. La « fermeture » du village (par exemple, chez les Nagas) arrête cette contagion. Ceux qui, sans en tenir compte, y entrent tout de même, renversent cette barrière. Aussitôt la mauvaise influence, libérée, s’exerce sur eux. Ils sont devenus impurs. Ils sont en imminence de malheur.

À la veille d’une expédition, ou d’une opération importante, dangereuse, ou difficile, il arrive fréquemment qu’un tabou de ce genre interdise les relations sexuelles, qui seraient une cause d’insuccès. Sans doute il est des cas où, loin d’être défendues, elles sont au contraire prescrites. Dans les rites agraires, par exemple, qui ont pour objet essentiel d’assurer et d’augmenter la fertilité de la terre, la fécondité des plantes, et l’abondance des récoltes, les relations sexuelles, comme on sait, tiennent une place considérable. Mais, en général, les primitifs ne voient pas de difficulté à ce qu’une influence, bienfaisante en certaines circonstances, se montre nuisible en d’autres. M. Lindblom dit formellement : « Dans certains cas, les relations sexuelles portent bonheur, sont purificatoires, et comme un rite nécessaire ; en d’autres, elles sont de mauvais augure, et par suite il faut les éviter soigneusement[1]. »

(S. N., pages 361-362.)
  1. G. Lindblom, The Akamba, p. 487.