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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/169

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soit à désensorceler. Dans les deux cas, elle a le même objet : parer au malheur imminent.

Nous comprenons mieux maintenant pourquoi tout contact avec des êtres ou des objets inconnus l’effraye qui sait quelles influences en émanent, et si l’on ne va pas se trouver souillé, c’est-à-dire ensorcelé ? Ɑ’où, si le contact a eu lieu, la nécessité d’une purification

La coutume en est à peu près universelle. « Quand les noirs sont allés faire une visite, dit Mme L. Parker, au moment de partir ils allument un feu pour produire de la fumée ; et ils se fumigent, afin de ne pas apporter de maladie chez eux[1]. » Désinfection mystique en se purifiant par la fumée, les noirs se débarrassent des mauvaises influences qui pourraient les ensorceler, c’est-à-dire les rendre malades, et dont la représentation est à la fois matérielle et immatérielle

(S. N., pages 274 et 276.)

Purifier, c’est fortifier.

« Rendre pur » en effet, dans la pensée des primitifs, équivaut souvent à « rendre fort ». Toute souillure met en état d’infériorité. Qui est devenu impur, pour une raison quelconque (il a été ensorcelé, il a assisté à des funérailles, on l’a accusé d’un crime, etc.), se trouve ipso facto sous une mauvaise influence. Le malheur qui lui est ainsi arrivé en annonce, et va en causer d’autres. Il n’y est pas seulement plus exposé qu’auparavant ; il est aussi moins capable d’y résister. Aussi longtemps qu’il restera impur, sa condition demeurera précaire, parce qu’il est faible. Le purifier, c’est le faire sortir de cet état dangereux. C’est neutraliser, selon l’expression souvent employée par les indigènes, les mauvaises influences qui l’affaiblissent. En un mot, c’est le rendre plus fort.

Peut-être faut-il voir, dans cette assimilation de « pur » avec « fort », une des origines des pratiques ascétiques — mortifications, jeûnes, abstinences de toutes sortes — que l’on a observées si souvent dans les sociétés primitives.

  1. Langloh Parker, The Euahlayi tribe, p. 41.