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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/172

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Avant d’entrer en campagne, on demandera à chaque guerrier la confession entière et en général publique de ses fautes. C’est là un usage très commun dans les sociétés primitives, ou même assez développées : on l’a constaté en Indonésie, en Polynésie, chez les Eskimo, au Mexique, au Pérou du temps des Incas, en Afrique chez les Bantou, et encore ailleurs. Toutes ces populations lui attribuent une grande importance. Peut-être cette coutume a-t-elle eu sa principale origine dans le besoin de neutraliser la mauvaise influence d’une souillure, et d’arrêter les calamités qu’elle amène infailliblement, aussi longtemps qu’elle est tenue secrète.

(S. N., pages 442 et 444.)

M. Rasmussen rapporte l’histoire d’une femme nommée Uvuvnak, qui, tombée un soir en syncope, possède, quand elle revient à elle, les pouvoirs d’un shaman. « Rien ne lui était plus caché, et elle commença à révéler toutes les fautes commises par les habitants de la maison. De cette façon, elle les purifia tous[1]. » « …Uvuvnak, inspirée, se met à chanter. (Tout shaman a un chant qui lui appartient en propre, et qui lui vient du monde des esprits.) Elle se grise de son propre chant, dans un transport de joie les autres sont gagnés par son ivresse, et, sans qu’on le leur demande, commencent à raconter toutes leurs mauvaises actions, les leurs, et celles d’autrui. Ceux qui, ainsi accusés, reconnaissaient être coupables, se délivraient de leurs péchés en levant les bras, et en faisant comme s’ils rejetaient tout mal loin d’eux-mêmes ; tout ce qui était fausseté et méchanceté était lancé au loin ; c’était emporté comme un grain de poussière, qu’on chasse de sa main en soufflant dessus. » Cette confession, animée, sous l’impulsion du shaman, d’une sorte de mouvement lyrique, prend l’aspect d’une purification à la fois symbolique et réelle. Elle nettoie, au propre et au figuré, ceux qui avouent tout haut leurs fautes. Comme il est fréquent chez les primitifs, le symbole participe intimement à ce qu’il symbolise. Il est ce qu’il figure. La confession fait

  1. Kn. Rasmussen, Intellectual culture of the Iglulik Eskimos, p. 122.