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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/177

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de rites très compliqués : danses, peintures, ornements spéciaux des membres du totem à qui incombe exclusivement le soin de célébrer la cérémonie, imitation des mouvements de l’animal totémique, efforts pour réaliser la communion avec lui. Pour cette mentalité, les individus qui font partie d’un groupe totémique, ce groupe lui-même, et l’animal, la plante ou l’objet totémique, c’est la même chose : entendez « même », non pas sous la loi d’identité, mais sous la loi de participation.

Dans la cérémonie intichiuma du totem witchetty grub (sorte de chenille), les acteurs reproduisent les actes de l’ancêtre mythique, qui est l’intermédiaire par qui le groupe participe de son totem, et qui, par conséquent, agit mystiquement sur celui-ci[1]. Parfois on peut saisir même la modalité physique de cette action mystique. Ainsi, au cours de la cérémonie intichiuma du totem kangourou, il arrive que les hommes de ce totem font couler leur sang sur un certain rocher. Cet acte a pour effet de chasser dans toutes les directions les esprits des animaux kangourous qui résidaient dans ce rocher et, par conséquent, d’augmenter le nombre des animaux vivants. Car l’esprit kangourou entre dans le kangourou animal, exactement comme l’esprit de l’homme-kangourou entre dans la femme-kangourou (lorsqu’elle devient grosse).

Même participation mystique entre la pluie et les membres du totem de la pluie, entre l’eau et les membres du totem de l’eau. Par conséquent, pour assurer la chute habituelle de la pluie, ou la présence ordinaire de l’eau dans les mares, on célébrera des cérémonies intichiuma. Celles-ci offrent une ressemblance frappante, jusque dans le détail le plus minutieux, avec les cérémonies analogues célébrées, pour la même fin, par les Zuñis, les Arapahos, et en général par les pueblos de l’Amérique du Nord, et que les collaborateurs du Bureau d’Ethnologie de Washington nous ont décrites avec tant de soin. En Australie comme dans le Nouveau-Mexique, nous voyons « des bandes courbes tracées sur le sol, qui sont censées représenter un arc-en-ciel…, des bandes analogues peintes sur le corps de l’acteur ; et une autre sur le bouclier qu’il porte. Le bouclier est aussi décoré de lignes

  1. Spencer and Gillen, The native tribes of Central Australia, p. 171 sqq.