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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/178

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d’argile blanche en zigzag qui représentent l’éclair[1]. » Ici, sans doute, intervient un autre « motif », familier à la mentalité prélogique : la valeur mystique de l’image, et le pouvoir sur un être ou sur un objet procuré par la possession de son image (magie sympathique, qui utilise la participation entre celle-ci et son original). Mais, dans les cérémonies intichiuma, au moins dans celles de l’Australie, il est fait appel en même temps, et surtout, à une autre participation plus profonde, je veux dire à la communauté d’essence entre le groupe totémique et son totem. Ainsi, disent MM. Spencer et Gillen, « les totems de la pluie ou de l’eau célèbreront leur cérémonie intichiuma quand la sécheresse aura duré depuis longtemps et que l’on souffrira cruellement du manque d’eau ; si la pluie survient dans un délai raisonnable, naturellement elle sera due à l’influence de la cérémonie… Cette cérémonie n’est pas liée dans l’esprit des indigènes à l’idée d’invoquer l’assistance d’un être surnaturel quelconque[2]. » On sait d’ailleurs que ces observateurs n’ont jamais pu découvrir, chez les tribus australiennes qu’ils ont étudiées, aucune idée de dieux proprement dits, ni « la plus légère indication ou trace de quoi que ce soit qui puisse être appelée culte des ancêtres… Les ancêtres de l’Alcheringa subissent des réincarnations continuelles, et cette croyance s’oppose à tout développement d’un culte d’ancêtres[3]. »

Nous sommes donc ici en présence d’un mode d’action où la mentalité prélogique et mystique se traduit autrement que dans la plupart des pratiques analogues, recueillies dans des sociétés de type plus élevé que les tribus australiennes. Rien de plus commun que les pratiques qui ont pour objet de faire cesser la sécheresse, et de s’assurer le bienfait de la pluie nous voyons encore chez nous les Rogations. Mais ces pratiques prennent le plus souvent la forme de supplications ou de prières. Même quand elles comportent, comme il arrive presque toujours, un recours à la magie sympathique, elles s’adressent en même temps à un ou plusieurs êtres divins, ou à des esprits, ou à des âmes, dont l’intervention produira l’apparition du phénomène désiré. C’est qu’on se sent plus loin de la pluie que des âmes, des esprits, ou des

  1. The Northern tribes of Central Australia, p. 295.
  2. The native tribes of Central Australia, p. 170.
  3. The Northern tribes, p. 494.