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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/181

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la vertu des cérémonies, à multiplier, à faire croître et grossir les plantes et les animaux totems des divers clans de la tribu.

(S. N., pages 111-113.)

Musique, chant, danse.

Pour rendre compte de l’émotion intense qui, dans les cérémonies, envahit et transporte les acteurs et les assistants, il faut considérer, outre l’effet produit par les mouvements et les gestes des acteurs, celui du rythme de la danse, de la musique et des chants. Suivant une loi psychologique bien connue, toute émotion un peu forte se traduit aussitôt dans les mouvements du corps et dans les sons émis par la voix. Inversement, cette expression musculaire et vocale réagit à son tour sur l’émotion et l’accroît : double effet dont l’intensité se multiplie lorsque l’émotion est collective, chacun des acteurs et des spectateurs percevant les mouvements des autres et entendant leur voix.

Le primitif ne donne pas seulement à son émotion cette expression vocale. À moins qu’il n’ait une raison pour la dissimuler (comme il fait souvent pour la colère), il la joue, il la mime. « La mimique, dit M. Willoughby, est aussi naturelle aux primitifs que la parole. Quand, en célébrant un culte, ils cherchent à soulager l’émotion qui les oppresse, ils se mettent instinctivement à donner une représentation dramatique de leurs besoins et de leurs désirs. En temps de sécheresse, un homme se rendra au tombeau d’un ancêtre, en prenant avec lui le seau à lait, la courroie qui lie les jambes de la vache que l’on va traire, ou quelque autre objet de pareille destination ; il se tiendra au-dessus du tombeau, et priera le mort de faire en sorte qu’ils soient employés de nouveau. Les battements de mains, et cette curieuse ululation que seules les femmes bantou peuvent produire comme il faut — (ce sont là deux façons de saluer le roi) — et même la danse sont entièrement associés à la louange. Un indigène fort intelligent, dans une lettre à moi adressée, va jusqu’à dire que les chants de guerre et d’autres tristes occasions sont les seuls « qui ne soient pas chantés avec les pieds[1] ». »

  1. Rev. W. C. Willoughby, Race problems in the New Africa, p. 76.