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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/182

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Le tambour a donc, indépendamment de son effet psychologique, bien connu des indigènes, une action mystique propre. Il exerce une influence sur les dispositions des êtres invisibles comme sur celles des humains. Il est ainsi l’accompagnement obligé de toutes les cérémonies où le groupe se trouve en contact avec les forces surnaturelles invisibles, et s’efforce de les incliner en sa faveur. Du point de vue mystique, c’est un élément indispensable du matériel magico-propitiatoire.

On sait que les noirs africains, en général, sont très heureusement doués pour la musique. La mode, en Europe comme en Amérique, ne permet plus à personne d’ignorer qu’en fait de rythme ils sont nos maîtres. Mais peut-être ne s’est-on pas rendu aussi bien compte de l’effet que la musique produit sur leur sensibilité, et de la place qu’elle tient dans leurs cérémonies. « Plus on écoute la musique indigène, dit M. Basden, plus on prend conscience de son pouvoir vital. Elle touche les cordes les plus intimes de l’être humain ; elle émeut ses instincts primitifs. Elle exige l’attention de l’exécutant tout entière ; elle exerce sur l’individu un empire si complet que, pendant qu’elle dure, l’esprit chez lui est à peu près séparé du corps… Sous l’influence de la musique, et de la danse qui l’accompagne, on a vu des hommes et des femmes tomber dans un état d’absence complète, oublier le monde qui les entoure et en perdre apparemment la conscience… »

De tels procédés d’hypnotisation collective sont très propres à déterminer ces états d’extase ou de trance bien souvent décrits, où les sujets, hors d’eux-mêmes, ne vivent plus que dans un monde d’émotion mystique intense. C’est en de tels moments que se réalise la communion entre les acteurs de la cérémonie et les puissances ou êtres surnaturels — esprits, ancêtres, morts récents, génies des espèces, etc. — pour qui elle est célébrée, qui y assistent, et qui y prennent part. Les épisodes de la danse, le spectacle des évolutions des acteurs, les mouvements violents et rapides indéfiniment répétés, les chants, le rythme et le volume des sons produits par les instruments, les costumes, les ornements de couleur, les masques, tout cela se fond progressivement, et toujours davantage, avec la fin religieuse qui inspire la cérémonie d’une façon plus ou moins consciente. Le paroxysme