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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/183

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d’émotion dont tous, acteurs et spectateurs, finissent par être possédés, leur donne, en les transportant hors d’eux-mêmes, la plus entière certitude que cette fin est atteinte[1].

(S. N., pages 133-136 et 138.)

Puissance effective du mythe.

Dans les tribus australiennes, la possession de certains mythes est le privilège des hommes qui ont passé par les épreuves de l’initiation, jusques et y compris la dernière, qui sont mariés, ont des enfants, bref, qui participent pleinement à l’essence du groupe. Tous les mythes ne sont pas ainsi secrets et réservés à ces anciens. Bon nombre appartiennent, pourrait-on dire, au domaine public. Les femmes et les enfants mêmes les connaissent. D’ailleurs, là comme ailleurs, entre les mythes proprement dits et les légendes et contes, une ligne de démarcation n’est guère facile à tracer.

L’importance d’un mythe tient avant tout à son sens ésotérique. Le texte peut en être sur les lèvres de non-initiés, sans que le secret qu’il renferme soit connu. « À coup sûr, écrit von Leonhardi, la plupart des hommes chantent ces chants sans y rien comprendre ; et c’est encore davantage le cas des femmes et des enfants dans les représentations auxquelles ils peuvent assister. Mais les hommes d’âge, les dépositaires des traditions, savent avec précision ce que ces représentations signifient dans leur détail, comprennent ce qui est chanté, et sont capables de l’expliquer[2]. »

La raison pour laquelle le sens de ces mythes doit rester secret, même si le texte en est connu, n’est pas douteuse. Le posséder n’est pas seulement un savoir, mais confère un pouvoir, qui s’évanouit quand ils sont profanés. Or, la tribu ne saurait s’en passer. Seul ce pouvoir lui permet d’entrer en communication avec les ancêtres de la période mythique, de participer d’eux en quelque sorte, de rendre actuelle leur présence, et d’obtenir que leur action se renouvelle périodiquement. La récitation de ces mythes est ainsi tout autre

  1. Cf. Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, pp. 308-314.
  2. Von Leonhardi, Vorrede zu C. Strehlow, Die Aranda- und Loritja-Stamme in Zentral-Australien, III, p. VI.