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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/184

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chose qu’un simple rite. Elle équivaut à un acte ; elle intéresse au plus haut point la vie même du groupe. S’il n’y avait plus d’hommes d’âge mûr dépositaires de ces mythes sacrés, aptes à les réciter au moment voulu, il serait condamné à s’éteindre. Car les jeunes gens ne pourraient plus en être instruits à leur tour. Alors les espèces animales et végétales dont les indigènes vivent disparaîtraient.

Du seul fait que ces mythes sacrés sont récités ou chantés, leur effet bienfaisant se produit. Non pas seulement parce que tous les assistants — visibles ou invisibles — les entendent, y compris les représentants des espèces intéressées. Tout mot, toute formule prononcée à haute voix agit comme une force, et a fortiori quand ils sont de caractère sacré, quand les mythes récités et chantés exposent les hauts faits et les voyages des ancêtres, « créateurs » des espèces vivantes, et fondateurs des institutions.

Souvent la récitation ne peut avoir lieu qu’à des dates déterminées, ou lors de la célébration des cérémonies, et par la voix de certaines personnes seulement. L’effet favorable qu’on en attend ne s’obtiendra que si toutes les prescriptions ont été observées.

(My. P., pages 113, 115-116.)

Le mythe mis en action.

Les cérémonies d’aujourd’hui reproduisent celles que l’ancêtre mythique, le Dema chez les Marind-anim, a célébrées, en présence des novices, à l’époque où il a « créé » ou « produit l’espèce (animale ou végétale) dont le mythe expose l’origine. La vertu de la cérémonie actuelle provient de ce qu’elle « imite » celle de la période mythique.

M. Wirz le dit en propres termes. « Les cocotiers, à ce que rapporte le mythe, doivent leur origine aux cérémonies majo : c’est pourquoi aujourd’hui les cérémonies majo causent la fécondité de ces palmiers. Par conséquent, si les cérémonies majo n’ont pas lieu, les Dema sont irrités, les palmiers et les autres arbres fruitiers ne produisent rien, les hommes tomberont malades et mourront[1]. »

  1. P. Wirz, Die Marind-anim von holländisch Süd-Neu-Guinea, II, p. 54.