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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/196

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Le lecteur me permettra de l’y renvoyer. Tantôt cette « âme » apparaît sous la forme d’un esprit, d’un souffle, tantôt sous celle d’un oiseau, d’un autre animal, d’un papillon, d’un homunculus, etc. Les méthodes employées pour la déceler là où elle a été cachée, pour la récupérer et pour la réintégrer dans le corps d’où elle est absente, sont aussi très variées. Cependant, sous cette grande diversité apparente, une analogie fondamentale subsiste. Comme la graisse des reins et l’earua étudiés plus haut, cette « âme » est toujours une « appartenance » essentielle de l’individu. Sa présence le fait vivre, et son absence le tue.

J’en dirai autant de la fameuse « âme extérieure », dont le Rameau d’Or a donné aussi une abondante et excellente description, toutes réserves faites sur les équivoques, malentendus et contresens qui naissent de l’abus qu’un grand nombre d’observateurs font du mot « âme ». En fait, dans les témoignages les plus précis relatifs à l’ « âme extérieure », souvent le mot « âme » n’est pas employé. L’auteur se sert exclusivement du mot « vie » (life)… Chez les Cherokee, « des chefs de guerre savaient placer leurs « vies » (lives) au sommet des arbres pendant la bataille, de sorte que, même frappés par l’ennemi, ils ne pouvaient pas être tués. Un jour, dans une bataille avec les Shawano, le chef des Cherokee se tenait debout, juste vis-à-vis des ennemis, et il les laissait tous tirer sur lui. Il ne fut pas blessé, jusqu’au moment où le chef Shawano, qui connaissait lui-même ce charme de guerre, ordonna à ses hommes de tirer dans les branches au-dessus de la tête de l’autre. Ils le firent, et le chef Cherokee tomba mort[1]. »

Cette « vie » ou « âme extérieure » ne semble pas différer essentiellement du « principe vital », de l’ « âme », et de la « graisse des reins » étudiés plus haut. Elle est, comme eux, une appartenance essentielle de l’individu. Mais il peut paraître singulier que ce principe, qui entretient la vie par sa seule présence, l’individu, pour plus de sécurité, l’éloigne lui-même de sa personne. On le met ailleurs, dans un coffre, au sommet d’un arbre, chez un animal, dans les cachettes les plus invraisemblables. Et l’individu, malgré l’absence de sa « vie », continue à vivre ! Bien mieux, il croit son existence

  1. J. Mooney, Myths of the Cherokee, E. B., XIX, p. 394. Cf. ibid., p. 468.