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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/197

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plus assurée, il s’expose impunément aux pires dangers ! Comment expliquer cette contradiction ?

Si paradoxale que paraisse la réponse, je dirais volontiers : la « vie », l’ « âme extérieure », exerce en effet une action de présence, mais elle l’exerce de loin. Pour la mentalité primitive, il n’y a là rien d’extraordinaire ni de choquant.

(A. P., pages 159-161.)

L’image, c’est l’être même.

Ce qui vient d’être dit des appartenances s’applique également à l’ombre, à l’image, au reflet, à l’écho, etc., de l’individu. Ce ne sont pas là non plus des « extensions de la personnalité ». Aux yeux des primitifs, l’ombre, l’image, etc., sont originairement comprises dans l’individu lui-même. Elles font partie de lui, dans toute la force du terme : la participation est entière.

À nos yeux, la ressemblance consiste en un rapport entre deux objets dont l’un reproduit l’autre. Notre image, — de même que notre ombre, qui est notre image sur le sol, — ou le reflet de notre personne dans l’eau, reste quelque chose d’extérieur à notre personne. L’image est, il est vrai, une réduplication de nous-même, et à ce titre elle nous touche de très près. Nous disons, en la regardant : « C’est bien moi. » Mais nous savons en même temps que nous exprimons ainsi une ressemblance, et non une identité. Mon image a une existence distincte de la mienne, et son sort n’a pas d’influence sur ma destinée. — Pour la mentalité primitive, il en va autrement. L’image n’est pas une reproduction de l’original, distincte de lui. Elle est lui-même. La ressemblance n’est pas simplement un rapport saisi par la pensée. En vertu d’une participation intime, l’image, comme l’appartenance, est consubstantielle à l’individu. Mon image, mon ombre, mon reflet, mon écho, etc., c’est, au pied de la lettre, moi-même. Qui possède mon image me tient en son pouvoir. De là, la pratique universelle de l’envoûtement, qui ne diffère en rien des autres modes, si variés, d’ensorcellement par le moyen des appartenances.

(A. P., pages 185-186.)