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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/200

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qui l’a jusqu’alors relié au groupe, et qui s’efface, une autre va se substituer. Ainsi s’explique l’importance capitale, pour le groupe comme pour les individus, des cérémonies d’initiation : si elles n’étaient pas célébrées, la société cesserait de vivre, faute de membres qualifiés. On voit aussi pourquoi les novices sont toujours censés mourir au cours de ces cérémonies, et renaître à la fin. Le sens de ce symbolisme n’est pas douteux. Pour que le jeune individu puisse être pleinement intégré au clan, à la tribu, il faut, premièrement, qu’il cesse d’y appartenir d’une façon médiate et indirecte. Or, la mentalité primitive ne voit pas de transition qui permette de passer simplement d’un de ces états à l’autre. Pour entrer dans le second, il est nécessaire d’être sorti du premier. Séparés des leurs pendant des semaines et même pendant des mois, soumis à des épreuves prolongées et parfois terribles, les novices mourront donc, mais pour renaître presque aussitôt, membres désormais complets, on dirait presque membres « titulaires » de la tribu, par la vertu des cérémonies qui en ont fixé en eux l’essence mystique. Le groupe se perpétue désormais par eux, comme ils existent par lui.

Pour un changement qui paraît si simple et si naturel, — et qui le serait, en effet, aux yeux des primitifs comme aux nôtres, si l’on ne considérait que la vie physique, mais ce n’est pas de cette vie qu’il s’agit, — le jeune garçon a dû retourner à l’état de nouveau-né. Il a donc fallu simuler une mort, puis une naissance. On a fait croire aux mères que leurs enfants cessent vraiment de vivre, que dans les camps d’où on leur défend de sortir, et dont aucun profane ne peut approcher, des esprits les ont enlevés, massacrés, engloutis, etc. — puis que la vie leur est rendue. Ils ne reprennent pas seulement connaissance, comme au sortir d’une longue syncope. Ce sont, dans toute la force du terme, des nouveau-nés. Les moments successifs des cérémonies rappellent souvent ceux d’une naissance véritable, et les premiers jours qui la suivent. Cette période correspond point pour point à celle qui suit la venue de l’enfant au monde. Souvent même, quand les initiés rentrent dans la maison de leurs parents, ils font semblant d’être pareils à de petits bébés, à qui il faut tout apprendre : ils ne savent ni parler, ni marcher, ni manger, etc. À la fin des cérémonies, les novices, désormais initiés, reçoivent un nouveau nom, c’est-