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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/201

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à-dire sont intégrés au groupe social, mais cette fois directement, à titre personnel.

La vertu mystique des cérémonies initiatoires a « fait du jeune garçon un homme », et de même, de la jeune fille une femme.

(A. P., pages 262-266.)

Suprématie des vieillards.

Tandis que l’enfant, jusqu’à son initiation, n’appartient au groupe social que d’une façon indirecte et secondaire, le vieillard y tient assez souvent le rôle principal. Dépositaire des traditions et des secrets sacrés de la tribu, qui ne sont communiqués qu’à quelques adultes pères de famille, quand ils ont atteint un certain âge, il est entouré d’une sorte d’auréole mystique. On le respecte. Il arrive même qu’on lui reconnaisse la jouissance des plus précieux privilèges. Un petit fait linguistique mettra en pleine lumière ces sentiments de certains primitifs. « Vieillard, dans la langue des Kowrarega (tribu australienne des environs du cap York), se dit ke-turkekai. Turkekai signifie homme ; ke, contraction de kuirga, est employé comme préfixe pour exprimer le superlatif (par exemple kamale, chaud, ke-kamale, très chaud). » Par conséquent, ke-turkekai, vieillard, veut dire très homme : non pas précisément surhomme, mais homme au superlatif, le plus haut degré de la qualité d’homme.

La vie normale d’un individu n’est donc pas figurée par une courbe, ascendante pendant la jeunesse, qui atteindrait son sommet dans l’âge mûr, et redescendrait ensuite pendant la vieillesse. Aux yeux de ces primitifs, c’est à l’âge le plus avancé que correspondrait le point le plus haut.

Ainsi s’expliquent les égards dont les vieillards sont souvent l’objet, et l’autorité qui leur est reconnue.

« Dans l’état actuel du sauvage, nous voyons le sexe féminin, les jeunes, les faibles, condamnés à une condition de dégénérescence sans espoir, et à une privation constante de certains avantages, uniquement parce qu’ils sont sans défense ; et ce dont ils sont privés est donné à d’autres, uniquement parce qu’ils sont vieux et forts. Et ce n’est pas là le résultat d’une violence personnelle, née d’un caprice