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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/209

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« lorsqu’un Moanus meurt, le cadavre mis en bière demeure dans la maison jusqu’à décomposition complète… Quand il ne reste plus que le squelette, les femmes le lavent avec soin dans l’eau de mer. On met dans une corbeille les os des bras, le fémur et le péroné. Cette corbeille est enterrée en un certain endroit avec son contenu. Le crâne, les côtes et les os de l’avant-bras sont mis dans une autre corbeille, et on la plonge quelque temps dans la mer pour nettoyer et blanchir complètement ces os. On les place alors, avec des plantes odoriférantes, sur un plat de bois que l’on met dans la maison où le mort habitait de son vivant. Auparavant, on a enlevé les dents du crâne ; la sœur du mort s’en fait un collier. Au bout de quelque temps, on se partage les côtés : c’est le fils qui fait la répartition. La femme principale en reçoit deux, les plus proches parents, chacun une. En souvenir du mort, chacun porte la sienne sous son anneau de bras — usage qui rappelle celui de Berlinhafen en Nouvelle-Guinée[1]. »

La coutume de porter ainsi sur soi des os de ses proches s’explique sans peine. La présence de cette appartenance garantit celle du mort, à laquelle on tient pour divers motifs, ne serait-ce que par affection.

Dans un conte rapporté par Landtman, « l’homme… déterra les crânes de ses parents, les lava dans l’eau, et les laissa au soleil pour y sécher. Pendant la nuit, il se coucha sur le dos pour dormir avec un crâne sous chaque aisselle, car il voulait que ses parents morts (spirits of his parents) vinssent lui parler en songe. Il plaça une lourde canne auprès de lui. Au milieu de la nuit, il s’éveilla, saisit la canne, et s’écria « Pourquoi, vous deux, ne venez-vous pas vite me parler ? Il y a longtemps que je dors. Si vous ne venez pas, je vous casse la tête. » Puis il se recoucha. Un peu après, ses parents vinrent et lui parlèrent[2]… »

(A. P., pages 310-312.)
  1. R. Parkinson, Dreissig Jahre in der Südsee, pp. 404-405.
  2. G. Landtman, The folktales of the Kiwai Papuans, p. 285 ; Cf. ibid., p. 509.