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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/214

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qu’en Indonésie. Elle explique, pour une part, pourquoi les primitifs, presque partout, ont si peur de se trouver dehors quand il fait nuit noire. Ils ne consentent guère alors à partir qu’à plusieurs, et en portant du feu. Ils ne craignent pas tant les bêtes féroces qui pourraient les attaquer, que les morts qu’ils sont exposés à rencontrer. Car, pour les morts, notre nuit est le jour. Dès que l’aube paraît, le danger est passé. Les morts à leur tour sont allés dormir.

(A. P., pages 382, 384-386.)

Le mort retrouve les siens.

Pour nous, le problème de la destinée individuelle domine les autres. « Que deviendrai-je ? Serai-je sauvé ou damné pendant l’éternité ? » L’homme des sociétés primitives ignore cette anxiété. Car, pour lui, il n’y a guère de destinée individuelle ni d’éternité. Dans le monde des morts comme dans celui des vivants, l’être véritable est le groupe, clan ou Sippe : ce que nous appelons les individus en sont les « membres », au sens propre du mot. La mort ne change rien à une solidarité sociale qui présente un caractère presque organique.

L’individu n’a donc pas à se demander ce qu’il deviendra dans l’autre monde. Il le sait déjà. Le clan existe là-bas comme ici. Dire que l’homme meurt, c’est dire qu’il va prendre place, selon son rang, parmi les membres morts de son groupe. L’idée d’une punition ou d’une récompense pour la conduite qu’il a eue pendant sa vie ne lui vient pas à l’esprit.

Si la pensée de la vie future inquiète le primitif, c’est lorsqu’il se demande comment il sera reçu là-bas. Le clan est, selon l’heureuse expression de MM. Smith et Dale, une société naturelle de secours mutuel, qui comprend à la fois les membres vivants et les morts. Chaque vivant a donc des devoirs à l’égard des uns et des autres. Qu’arrivera-t-il, quand il meurt, s’il n’a pas rempli ses obligations ? Quel accueil lui fera-t-on ? Et si le clan, dans l’autre monde, refusait de le recevoir ? Cette seule pensée est horrible. Être ainsi exclu par son groupe, après la mort, c’est pour le