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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/217

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son clan sont venus en plein jour (ils ont loyalement payé le prix de la femme). Venez donc à l’autel ! Mangez et partagez-vous notre bœuf ! » (Le plus souvent, ce bœuf est une simple poule[1].)

Le ton de cette prière est à peine poli.

(M. P., pages 83-84.)

La mort des morts.

Que deviennent les morts à la longue ? Quand on ne leur apporte plus d’offrandes ni de sacrifices, quand les années qui passent ont peu à peu effacé leur souvenir, leur individualité se conserve-t-elle ? et pour combien de temps ?

S’il s’agissait d’âmes purement spirituelles, elles seraient immortelles du même coup. Mais, dans les sociétés primitives, qui ignorent cette sorte d’âmes, nous ne trouvons nulle part de croyance à l’immortalité. Partout on croit à une survie. Nulle part on ne l’imagine sans fin.

Les morts, en effet, pour la presque totalité des primitifs, ne sont ni des « esprits » ni des « âmes », mais bien des êtres semblables aux vivants, diminués cependant et déchus sous un certain aspect, quoique puissants et redoutables sous un autre. On ne peut en général les voir, ni les toucher, et lorsqu’ils apparaissent, ils ont plutôt l’air de fantômes, ou d’ombres, que d’êtres réels. Ils n’en ont pas moins un corps semblable au nôtre, bien que sans consistance ni épaisseur. Ils vont à la chasse et à la pêche, ou bien ils cultivent leurs champs. Ils mangent et ils boivent, ils se marient, etc. Bref, il est vrai, à la lettre, que l’autre vie est le prolongement de celle-ci sur un autre plan. L’homme y retrouve une situation sociale correspondante à son rang dans cette vie. Il y reste aussi physiquement semblable à lui-même.

(A. P., pages 398-399.)

Le mort n’échappe pas à l’échéance fatale que le temps amène tôt ou tard pour le vivant. Sa vie est trop semblable à celle des mortels pour ne pas aboutir au même terme.

  1. H. A. Junod, The life of a South African tribe, II, p. 368.