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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/218

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Lui aussi, en général, il finit par mourir. Toutefois, le primitif n’a pas l’idée claire de cette analogie qui se fait sentir dans ses représentations, et d’ailleurs, même en ce monde, la mort n’est pas toujours conçue par lui comme nécessaire. Dans certaines sociétés, aucune mort n’est « naturelle ». Cependant on admet presque partout que, hormis le cas d’une réincarnation, qui peut être périodique, les morts finissent par disparaître définitivement. En Australie, dans le N. W. C. Queensland, « l’idée que l’indigène a de la survie, du moins dans la tribu Boulia, est extrêmement obscure, et elle n’implique guère que cette survie soit longue : il se représente vaguement le cadavre comme « devenant plus vieux et s’en allant ailleurs », quand on cesse d’apporter des aliments et du tabac sur la tombe[1]. »

(A. P., pages 401-402.)

La croyance à la mort des morts est pratiquement universelle. Étant donnée l’idée qu’on se fait ordinairement, chez les primitifs, de la façon d’exister des morts, ceux-ci ne peuvent que finir comme les vivants.

Les morts pourront donc aussi être tués.

Dans une bataille, « un homme de Mabuiag tira sur un jeune garçon dans les broussailles et le tua. Tirant ensuite à travers une feuille, il atteignit un mari (mort) à l’œil et le tua. Il coupa les deux têtes… et il emporta à la main la tête longue et étroite du mort[2]. » Ce récit, dit le Dr Haddon, m’a été donné comme véridique ; mais on ne m’a pas expliqué l’épisode du mari. Il semble en effet que pour les indigènes la chose allait de soi. Rien n’empêche qu’un mari (mort) ne soit tué par une flèche qui entre dans son œil. Les morts qui se battent avec les vivants courent les mêmes dangers qu’eux. Ils peuvent recevoir les mêmes blessures fatales.

« Les morts s’écartèrent pour éviter les coups, et toute leur colonne s’écroula. Dans cette culbute, un mort fut écrasé et tué… Le jour paraît et surprend les morts. Les femmes descendirent alors à terre. Elles appelèrent les autres habitants du village, qui arrivèrent bientôt avec des torches et

  1. W. E. Roth, Ethnological studies among the N. W. Central Queensland aborigines, no 279, p. 161.
  2. Reports of the Cambridge expedition to Torres straits, V, p. 319.