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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/220

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corps ? L’esprit vit-il là simplement comme un hôte, ou est-ce lui qui fait vivre le corps, qui lui fait remplir ses fonctions ? À toutes ces questions les indigènes ne peuvent donner de réponse[1]. » — Comment en donneraient-ils, si les termes mêmes où elles sont posées ne se sont jamais présentés à leur esprit ? Ils ne savent que dire. Laissons cette recherche, qui ne saurait aboutir, et essayons plutôt de dégager les participations impliquées dans leurs croyances au sujet de la réincarnation.

Un même individu peut reparaître à la fois en deux autres. « Un esprit désincarné — (je dirais : un mort) — peut revenir sur terre dans deux corps. Supposons que deux frères vivent dans des districts différents, et que chacun a un enfant à peu près en même temps. Ils vont chez le devin de leur district, et chacun d’eux apprend que c’est le grand-père qui est revenu au monde ; l’enfant confirme cette divination, comme on l’a vu plus haut. Les deux frères sont donc persuadés qu’il en est ainsi. Jusqu’alors ils ne se sont pas fait part des naissances, mais maintenant que le nom est donné, chacun informe l’autre : « Notre père est revenu chez lui. » L’idée ne leur vient pas qu’une erreur a été commise ; ils acceptent simplement la situation. Si un « esprit » le veut, pourquoi n’occuperait-il pas deux corps ? Ils ne songent pas un instant à mettre en doute qu’une personne puisse être à deux endroits au même moment[2]. »

À certains signes, toutefois, on reconnaît que le mot « réincarnation » ne rend pas exactement ce qui est dans l’esprit des indigènes. Il s’agit plutôt d’une participation intime entre le vivant et le mort qui entre en lui. « Personne ne se rappelle ce qu’il a été dans sa vie antérieure sur la terre, ni ce qu’il était ou faisait dans le monde des esprits. La mémoire et toutes les autres fonctions intellectuelles sont — peut-on dire ainsi ? — indépendantes de l’ « esprit ». Il détermine qui est l’homme, mais non pas ce qu’il est… Pour les Ba-ila, il semblerait que l’ « âme » — l’individu lui-même — est plutôt semblable à un locataire, à un habitant d’une maison où toutes les besognes journalières se font sans lui. Il n’y participe aucunement. Il est comme une

  1. Smith and Dale, The ila-speaking peoples of Northern Rhodesia, II, p. 153.
  2. Ibid., II, p. 154.