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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/225

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naires ont eu à souffrir de cette coïncidence. En fait, le premier contact avec les Européens était presque toujours fatal aux indigènes, et l’expérience confirmait singulièrement leurs craintes. « La plupart des maladies qui ont fait rage dans les îles, écrit Williams, pendant mon séjour, y ont été apportées par les navires… Les premières relations entre Européens et indigènes sont invariablement suivies, à mon sens, de l’apparition de la fièvre, de la dysenterie ou de quelque autre maladie qui emporte nombre de gens. À l’île de Rapa, près de la moitié de la population a été balayée[1]. » — À Tanna (Nouvelles-Hébrides), les prêtres voulaient nous tuer, parce que, pour sûr, notre présence ferait empirer leur toux… Tous croyaient fermement que, depuis qu’ils avaient la visite des blancs, dans ces dernières années, les épidémies d’influenza devenaient plus fréquentes et plus meurtrières. Cette impression n’est pas particulière à Tanna ; elle est universelle, si je ne me trompe, d’un bout à l’autre du Pacifique[2]. »

La peur des maladies (c’est-à-dire de l’action mystique funeste qui s’exerce par la maladie) était si grande chez les indigènes que, si l’un d’eux quittait l’île et y revenait après une absence, on le considérait comme aussi dangereux qu’un étranger.

La dysenterie, qui exerça ses ravages, en 1842, dans d’autres parties de l’Archipel (des Nouvelles-Hébrides) fut terrible à Eromanga. Les indigènes l’attribuèrent à quelques hachettes qu’avait laissées à terre un bateau venu pour prendre du bois de santal, et ils les jetèrent à la mer. On estime que le tiers de la population mourut à cette époque[3].

Ainsi, non seulement les blancs eux-mêmes, mais tout ce qui vient d’eux, ou avec eux, tout ce qui a été à leur contact peut apporter l’infection et la mort. Non pas pour les raisons positives de contagion qui nous sont familières, — de ces raisons, les primitifs n’ont pas le moindre soupçon, — mais parce que les blancs, volontairement ou non, exercent une influence néfaste, qu’ils tiennent de leur parenté avec le monde invisible.

(M. P., pages 415-418.)
  1. J. Williams, A narrative of missionary enterprises in the South Sea islands, pp. 281-282.
  2. G. Turner, Nineteen years in Polynesia, p. 28.
  3. A. W. Murray, Missions in Western Polynesia, p. 178.