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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/226

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Les armes à feu.

Si les blancs sont des sorciers, et disposent à volonté des forces du monde invisible, leurs armes et leurs instruments doivent posséder aussi des propriétés magiques. Au lieu d’en observer la structure et le mécanisme, c’est par ces propriétés qu’on en expliquera les effets. Nous avons ici l’occasion, assez rare, de voir la mentalité primitive en présence d’objets entièrement nouveaux pour elle. Nous pouvons saisir, pour ainsi dire, sur le vif, l’attitude qu’elle prend aussitôt. S’agit-il, par exemple, de l’effet des armes à feu ? « Les plus raisonnables des Dayaks en ont une idée superstitieuse. Chaque homme, au moment où il entend la détonation, s’imagine que la balle vient droit sur lui. Il s’enfuit donc, et il ne se croira jamais en sûreté tant qu’il entendra le bruit de la poudre : ainsi, un homme entendant un coup de canon à cinq milles de distance continuera de courir à toute vitesse, avec la même terreur qu’au premier moment[1]. »

Ainsi ces Dayaks, quand ils voient des Européens faire usage de leurs fusils, ne songent pas à observer ce qui se passe en effet, ni sous quelles conditions. Dans leur pensée, l’effet mortel des balles est dû exclusivement au pouvoir mystique que les blancs ont incorporé à leurs armes. Le projectile doit donc toujours toucher le but, à quelque distance qu’il se trouve. S’il le manque, c’est que l’Européen n’a pas voulu l’atteindre, ou qu’une influence plus puissante est intervenue. L’indigène n’analyse pas. Il ne raisonne pas sur ce qu’il voit, puisqu’il n’y a pas là pour lui matière à raisonnement. Aucun problème nouveau ne s’est posé à son esprit il n’a donc pas d’explication à chercher.

(M. P., pages 420-422.)

Les livres des blancs.

Les livres et l’écriture ne sont pas, pour les primitifs, un moindre sujet d’étonnement que les armes à feu. Mais ils ne sont pas plus embarrassés de se les expliquer. Tout de

  1. E. T. Dalton in H. Ling Roth, The natives of Sarawak, II, p. 127.