Aller au contenu

Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Effets du contact entre les blancs et les indigènes.

Au point de vue physiologique, on sait que le contact des blancs, dans presque toutes les régions (Amérique du Nord et du Sud, Polynésie, Mélanésie, etc.) a été fatal aux sociétés indigènes. La plupart d’entre elles, décimées par les maladies que les nouveaux venus apportaient, ont disparu. Beaucoup de celles qui restent achèvent de s’éteindre. Au point de vue social, des phénomènes précisément analogues se produisent. Les institutions des primitifs, comme leurs langues, se décomposent vite, dès qu’il leur faut subir la présence et l’action des blancs.

Que les sociétés primitives soient incapables de supporter ce choc, on aurait pu le prévoir d’après leur structure, qui les rend si différentes de celles où nous vivons, et si vulnérables. Les ancêtres, récents et lointains, les esprits et puissances invisibles de toutes sortes, les espèces qui peuplent l’air, les eaux et le sol, la terre même, et jusqu’aux rochers et aux accidents de terrain, tout ce qui se trouve dans les limites de la localité occupée par le groupe social lui « appartient », comme on sait, au sens mystique du mot. Réciproquement il est lié, par un réseau complexe de participations, à la localité même et aux puissances invisibles qui y résident et y font sentir leur action. Dès lors, les rapports qui nous paraissent le plus naturels et le plus inoffensifs entre des sociétés humaines risquent d’exposer le groupe à des dangers mal définis, et d’autant plus redoutés. Le plus léger contact avec des inconnus, le simple fait de recevoir d’eux des aliments ou des engins peut conduire à des catastrophes. Qui sait comment telle ou telle puissance occulte aura pu en être affectée, et ce qui en résultera ? De là, chez les primitifs, des signes de crainte et de défiance que les blancs interpréteront souvent comme de l’hostilité, puis du sang versé, des représailles, et parfois l’extermination du groupe. Si au contraire des relations s’établissent, si un commerce suivi a lieu entre les blancs et les indigènes, surtout si nombre de ceux-ci vont vivre et travailler chez les blancs, à la suite d’un « engagement » plus ou moins volontaire, les conséquences, le plus souvent, ne sont pas moins lamentables. En très peu de temps l’indigène, brusquement exposé à des