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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/233

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L’introduction d’un nouvel article de commerce a toujours valu l’accusation de sorcellerie à celui qui en était le promoteur. On raconte aussi que l’homme qui inventa le procédé pour tirer des palmiers le vin de palme fut accusé de sorcellerie, et qu’il paya sa découverte de sa vie[1]. »

Pourquoi, dans tous ces cas, et dans une infinité d’autres analogues, l’accusation de sorcellerie se présente-t-elle aussitôt à l’esprit des indigènes ? Cela provient, sans aucun doute, de l’attitude constante de la mentalité primitive qui, de ce qu’elle perçoit ou constate, saute immédiatement à une cause mystique, sans prêter la moindre attention à ce que nous appelons la série des causes et des effets objectifs et visibles. Le forgeron congolais, avec un morceau de fer qui provient d’un cercle de tonneau, arrive à fabriquer un couteau à l’européenne : nous admirerons l’esprit d’initiative, l’adresse et la persévérance de l’artisan qui, n’ayant à sa disposition que de si pauvres matériaux et des outils si grossiers, a su en tirer un tel parti. La mentalité primitive reste insensible à ces mérites. Elle ne les remarque même pas. Ce qui la frappe, ce à quoi elle s’attache uniquement, c’est la nouveauté inquiétante du résultat obtenu. Comment un couteau pareil à celui des blancs serait-il sorti de la forge, si l’homme n’avait eu une force magique à son service ? Il est donc suspect. Quiconque, comme lui, obtiendra un succès auquel personne n’avait encore pensé, s’exposera à la même accusation. Peu importe qu’il ne fasse pas mystère des opérations qu’il a imaginées et réalisées. Dans la pensée des indigènes, ce n’est pas à elles qu’il doit d’avoir réussi, c’est à une puissance occulte qui seule en a assuré l’efficacité. Aussitôt surgit la question redoutable : comment a-t-il eu cette puissance occulte à sa disposition ? N’est-il pas sorcier ?

(M. P., pages 459-461.)

Adaptation des primitifs.

Au contact prolongé des blancs, les idées et les sentiments des indigènes, au sujet des blancs eux-mêmes et de ce qu’ils apportent, ne tardent pas à se modifier. Le chan-

  1. Rev. J. H. Weeks, Anthropological notes on the Bangala of the upper Congo river. J. A. I., XXXIX, p. 108.