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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/241

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thèse en apparence logique. Ce travail se poursuit à l’infini, toujours vain, toujours satisfait de lui-même.

Les caractères propres de la pensée logique se distinguent si nettement de ceux de la mentalité prélogique, que le progrès de l’une semble impliquer ipso facto la régression de l’autre. On est tenté d’en conclure qu’à la limite, si la pensée logique impose sa loi à toutes les opérations de l’esprit, la mentalité prélogique aura dû disparaître tout à fait. Conclusion hâtive et illégitime. Sans doute, plus l’exigence logique devient forte et habituelle, moins elle tolère les contradictions et les absurdités dont la preuve peut être faite. En ce sens, il est vrai de dire que plus la pensée logique fait de progrès, plus elle est redoutable aux représentations qui, formées sous la loi de participation, contiennent des contradictions implicites ou expriment des préliaisons incompatibles avec l’expérience. Tôt ou tard ces représentations sont menacées de périr, c’est-à-dire de se dissoudre. Mais cette intolérance n’est pas réciproque. Si la pensée logique ne souffre pas la contradiction, et lutte pour l’exterminer dès qu’elle l’aperçoit, la mentalité prélogique et mystique est au contraire indifférente à l’exigence logique. Elle ne recherche pas la contradiction ; elle ne la fuit pas non plus. Le voisinage même d’un système de concepts rigoureusement ordonnés selon les lois logiques n’a sur elle que peu ou point d’action. Par suite, la pensée logique ne saurait jamais être l’héritière universelle de la mentalité prélogique. Toujours se maintiendront les représentations collectives qui expriment une participation intensément sentie et vécue, et dont il sera impossible de démontrer soit la contradiction logique, soit l’impossibilité physique. Même, dans un grand nombre de cas, elles se maintiendront, parfois fort longtemps, malgré cette démonstration. Le sentiment vif interne d’une participation peut suffire, et au delà, à contre-balancer la force de l’exigence logique. Telles sont, dans toutes les sociétés connues, les représentations collectives sur lesquelles reposent nombre d’institutions, et en particulier beaucoup de celles qu’impliquent nos croyances et nos pratiques morales et religieuses.

La persistance indéfinie de ces représentations collectives, et de la mentalité dont elles sont comme des témoins, dans les sociétés où la pensée logique est la plus avancée, permet