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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/242

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de comprendre pourquoi la satisfaction qu’y procurent les connaissances les plus achevées — exception faite de celles qui sont purement abstraites, — demeure toujours incomplète. Comparée à l’ignorance, du moins à l’ignorance consciente, la connaissance est sans doute une possession de son objet. Mais comparée à la participation que réalise la mentalité prélogique, cette possession n’est jamais qu’imparfaite, insuffisante, et comme extérieure. Connaître, en général, c’est objectiver ; objectiver, c’est projeter hors de soi, comme quelque chose d’étranger, ce qui est à connaître. Quelle communion intime, au contraire, les représentations collectives de la mentalité prélogique n’assurent-elles pas entre les êtres qui participent les uns des autres ! L’essence de la participation est que précisément toute dualité s’y efface, et qu’en dépit du principe de contradiction, le sujet est à la fois lui-même et l’être dont il participe. Pour saisir à quel point cette possession intime diffère de l’appréhension objectivante en laquelle consiste la connaissance proprement dite, il n’est même pas besoin de comparer les représentations collectives des sociétés inférieures avec le contenu de nos sciences positives. Il suffit de considérer un objet, Dieu, par exemple, qui soit, en même temps, dans notre société, recherché par la pensée logique et donné dans des représentations collectives d’un autre ordre. L’effort rationnel pour connaître Dieu semble à la fois unir le sujet pensant à Dieu et l’en éloigner. La nécessité de se conformer aux exigences logiques s’oppose aux participations entre l’homme et Dieu qui ne sont pas représentables sans contradiction. La connaissance se réduit ainsi à fort peu de chose. Mais quel besoin de cette connaissance rationnelle a le fidèle qui se sent uni à son Dieu ? La conscience qu’il a de la participation de son être à l’essence divine ne lui procure-t-elle pas une certitude de foi au prix de laquelle la certitude logique sera toujours quelque chose de pâle, de froid, de presque indifférent ?

Cette expérience d’une possession intime et complète de l’objet, possession plus profonde que toutes celles dont l’activité intellectuelle peut être l’origine, fait sans doute le ressort principal des doctrines dites antiintellectualistes. Ces doctrines reparaissent périodiquement, et à chaque réapparition elles retrouvent faveur. Car elles promettent ce que ni la science positive pure ni les autres doctrines