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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/244

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s’il est vrai que notre activité mentale est logique et prélogique à la fois, l’histoire des dogmes religieux et des systèmes philosophiques peut s’éclairer désormais d’un jour nouveau.

(F. M., pages 447-449, 451-455.)

Évolution des mythes.

La représentation du monde mythique, si nettement caractérisée dans les tribus australiennes et papoues étudiées plus haut, ne leur appartient pas en propre, ni exclusivement. Au contraire, dans un grand nombre de sociétés plus ou moins « primitives » des deux hémisphères, on retrouve, sinon la totalité de ses éléments essentiels, du moins les plus importants d’entre eux : la croyance à une période extra-temporelle, ou, si l’on peut dire, prétemporelle, où le monde était autre qu’à présent ; à l’existence, durant cette période, de héros civilisateurs, qui étaient à la fois hommes et animaux, inventeurs, fondateurs d’institutions, « créateurs » d’êtres et d’objets, ancêtres des groupes humains et des espèces vivantes actuelles ; à la « fluidité » qui rendait possible, dans cette période, n’importe quelle transformation, puisque celle-ci ne rencontrait jamais, dans les lois de la nature ou dans la fixité des formes spécifiques, d’obstacle insurmontable, ni d’impossibilité physique.

Doit-on donc admettre que cette représentation du monde mythique (avec les éléments émotionnels, les pratiques et les cérémonies qu’elle comporte) se retrouve toujours à peu près semblable dans les sociétés primitives, quelle que soit la diversité de leurs institutions et du milieu où elles vivent ? Ce serait dépasser ce dont les faits témoignent. Ils nous montrent bien plutôt la nécessité de tenir compte, pour chaque société (ou chaque groupe de sociétés), des conditions particulières où elle a évolué, et, s’il est possible, de son histoire. Selon la remarque de M. Mauss[1], on aurait dû réserver le terme de « primitifs » pour les Australiens — les seuls en qui subsistent aujourd’hui des traits de l’homme paléolithique, — et, au sujet des autres sociétés, impropre-

  1. Bulletin de la Société française de Philosophie, 23e année, p. 26 (1923).