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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/245

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ment dites primitives, distinguer celles qui sont néolithiques, et les autres, de civilisation plus avancée. De ce point de vue, on comprend que nulle part ailleurs (réserve faite des découvertes qui pourraient se produire dans l’avenir), on ne rencontre l’ensemble de croyances et de pratiques si caractéristiques que l’on observe en Australie et en Nouvelle-Guinée. Même là où les analogies sont indubitables et frappantes, des différences s’imposent aussi à l’attention.

Sans entrer dans un détail qui nous entraînerait loin, nous nous bornerons à signaler en quelques mots les plus remarquables de ces différences. D’abord, les mythes sacrés et secrets n’ont plus la même importance vitale que chez les tribus australiennes et papoues dont nous avons parlé. La reproduction périodique des espèces animales et végétales, et la permanence même des groupes humains ne dépend plus avant tout de la célébration régulière des cérémonies qui permettent aux hommes dûment initiés de communier avec les ancêtres mythiques.

Puis, ces ancêtres-animaux eux-mêmes tendent à changer de caractère, à prendre une personnalité de traits plus ou moins accusés, à devenir enfin, avec le temps, des « divinités ». Ces personnages divins ne demeurent pas tous sur le même rang, comme les ancêtres-animaux, par exemple, en Australie centrale, d’après les descriptions de Spencer et Gillen, et de Strehlow. Ils forment des groupes, et parfois une hiérarchie, où ils se subordonnent les uns aux autres. En même temps, les cérémonies se transforment. Elles finissent par céder la place à un véritable culte, qui implique des fonctions sacerdotales. Celles-ci sont le plus souvent remplies par le chef, ou par le roi, intermédiaire obligé entre les membres vivants de la société et ses membres morts, et seul qualifié pour s’adresser aux puissances invisibles et aux « dieux ».

Enfin les sacrifices, inconnus dans les tribus australiennes et papoues, apparaissent, et ils occupent dans le culte une place souvent fort importante.

Je ne dirai donc pas, comme l’a fait Durkheim dans son célèbre ouvrage, que les sociétés australiennes nous présentent les « formes élémentaires de la vie religieuse », mais plutôt que l’ensemble de croyances et de pratiques qui a pris corps dans leurs mythes et leurs cérémonies constitue une « préreligion ». Le sens de ce néologisme, dont je m’ex-