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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/248

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réalité sacrée dont ils sont les véhicules, nous parvenons à le comprendre. Mais pouvons-nous jamais nous empêcher de mettre les mythes, même primitifs, au rang des légendes, des contes, des fables, en un mot du folklore, où la part de la fantaisie et de l’invention nous paraît si grande ?

Pourtant, si nous arrivions à nous affranchir tout à fait du préjugé qu’a enraciné en nous la familiarité avec les littératures classiques, nous devrions prendre plutôt la position inverse. Nous cesserions d’interpréter ces mythes à la lumière des contes et du folklore. Au contraire, ce sont ces contes et ce folklore dont nous chercherions la signification originelle dans les mythes, et particulièrement dans les mythes primitifs.

(My. P., page 184.)

Le folklore de notre société se montre, sur ces points, extrêmement proche de celui des primitifs. Est-il nécessaire d’en apporter ici des preuves ? Il suffit, pour s’en convaincre, d’ouvrir n’importe quel recueil de contes populaires, français, anglais, allemands, italiens, espagnols, roumains, slaves, grecs, etc., ou simplement de se rappeler les contes de Perrault, tout stylisés qu’ils sont. Le loup du Petit Chaperon rouge est un animal-homme. Sous sa forme de loup, il parle et raisonne comme un être humain ; sous celle de la grand’mère, il se conduit en bête fauve. Le cas du Chat botté est encore plus net. Cet animal-homme est le plus fidèle et le plus avisé des serviteurs. Son esprit d’à-propos et son audace font la fortune de son maître. Tantôt il se présente sous forme humaine, tantôt il apparaît en quadrupède. À la fin, il renonce définitivement à son extérieur de chat. Cependant, sa double nature n’a pas disparu. « Le chat devint grand seigneur, et ne courut plus après les souris que pour se divertir » : le conte s’achève sur ces mots. Dans Cendrillon, le monde est entièrement fluide. Le pouvoir des fées ne rencontre jamais l’ombre d’une résistance. Sur leur ordre, en moins d’un instant, les transformations les plus incroyables s’accomplissent. Une citrouille est devenue carrosse, des souris se sont métamorphosées en chevaux gris, un gros rat en cocher, six lézards en laquais. Tandis que sonne le dernier coup de minuit, tous ont repris leur forme première.