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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/249

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Ces contes populaires, comme on sait, viennent de loin, et ils ne sont pas près de disparaître[1]. On aurait tort d’en méconnaître la signification profonde, ne fût-ce que comme élément commun à des époques et à des civilisations fort différentes par ailleurs. Croyances religieuses, structure sociale, densité de la population, vie économique, relations avec le dehors, développement des arts et des sciences sous tous ces aspects, et sous bien d’autres encore, l’écart entre nos sociétés et celles que l’on appelle primitives est allé sans cesse en croissant. Cependant, le folklore est demeuré partout semblable dans ses traits essentiels. Les contes populaires de l’Europe nous offrent la même représentation d’un monde fluide que les mythes australiens et papous.

L’explication de ce fait entraînerait loin, hors du cadre de la présente recherche. Mais nous pouvons du moins indiquer, en quelques mots, quelle voie elle aurait sans doute à suivre. Si l’on admet l’étroite parenté de notre folklore avec les mythes et les contes des primitifs (et elle ne paraît pas contestable), c’est donc une même mentalité qui s’exprime en lui et en eux. Elle les a marqués semblablement, de ses caractères essentiels. Par suite, une bonne part de ce qui a été établi plus haut, touchant les mythes de ces tribus si éloignées de nous, vaut aussi pour le folklore (en particulier pour les contes d’animaux) des sociétés occidentales. Dès lors, ce qu’il a de mystérieux, de fantastique, et même d’extravagant, s’éclaire et devient intelligible. Il suffit que nous le rapportions à cette mentalité d’où il a tiré son origine. Nous en reconnaissons en lui les tendances intensément mystiques, et l’indifférence à la contradiction lorsque des participations sont en jeu.

Peu de personnes, chez nous, se montrent insensibles au charme de ces contes. Grands et petits s’y plaisent également. Sans doute, on ne les met pas en balance avec les chefs-d’œuvre des littératures, classiques ou modernes. Mais ce qu’ils apportent, on sent, d’instinct, qu’il serait vain de le chercher ailleurs. Si la forme en reste le plus souvent indifférente, en revanche la saveur qu’on y trouve est unique. D’où vient cette impression, si vive, et si générale ? — Précisément de ce qu’ils nous mettent en contact avec le monde

  1. Cf. P. Saintyves, Les Contes de Perrault (1923).