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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/88

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Dans un grand nombre de sociétés, quand une femme accouche de jumeaux, on en sacrifie un, et souvent pour la raison que c’est un rejeton, non pas du mari de la mère, mais d’un « esprit », ou du moins qu’il n’est pas l’enfant d’un être humain vivant. D’autre part, Spencer et Gillen rapportent la croyance suivante : « Dans les cas très rares où l’enfant naît très prématurément par suite d’un accident, rien ne pourra persuader aux indigènes que le fœtus est un être humain incomplètement développé. Ils sont absolument convaincus que c’est le jeune de quelque animal, d’un kangourou, par exemple, qui est entré dans cette femme par méprise[1]. » M. Junod fait incidemment allusion à une croyance analogue. « Pendant la grossesse… les relations conjugales… sont plutôt recommandées. J’ai entendu un jour les doléances d’un jeune marié qui se plaignait amèrement d’avoir été ensorcelé par sa tante maternelle (il croyait qu’elle l’avait rendu impuissant). « C’est, disait-il, parce que ma femme était enceinte, et que mes ennemis voulaient compromettre sa grossesse, et mettre à la place de l’enfant qui n’aurait pu grandir un serpent, un lapin, une caille, une antilope, que sait-on[2] ? »

Ces idées éclairent les innombrables contes et légendes où une femme donne naissance à un serpent, à un crocodile, à un oiseau, à un animal quelconque. Pour la mentalité primitive, le fait n’a en soi rien que de croyable. Insolite, il appelle et il reçoit une interprétation mystique. Mais il n’est pas contre nature. Personne n’a l’idée de le mettre en doute.

(A. P., pages 42-43.)

Croyance aux métamorphoses.

Dans notre pensée, à supposer qu’un homme pût se transformer en chien, la métamorphose ne s’arrêterait pas à la forme extérieure, visible, pour substituer un quadrupède couvert de poils à un bipède dont la peau est lisse. Il s’agirait de bien autre chose encore l’être nouveau, au point

  1. Spencer and Gillen, The native tribes of Central Australia, p. 52.
  2. H. A. Junod, Conceptions physiologiques des Bantous sud-africains. Revue d’ethnographie et de sociologie, 1910, nos 5-7, p. 157.