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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/89

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de vue mental, n’aurait à peu près rien de commun avec le premier. À tel point qu’une transformation de cette sorte est nécessairement, à nos yeux, du domaine de la fable ; nous n’admettrons jamais que, dans la réalité, un homme puisse devenir chien, ni un chien devenir homme.

Au contraire, l’Australien, dès son enfance, a toujours entendu parler d’êtres qui sont à la fois hommes et animaux, ou qui passent sans la moindre difficulté d’une forme à l’autre. Lorsque, devenu adulte, initié, marié, il reçoit des anciens le dépôt des mythes secrets et sacrés, il y trouve le récit de ce qu’ont fait les ancêtres, les « éternels incréés », qui étaient justement mi-humains, mi-animaux. Il les voit revivre dans les acteurs masqués des cérémonies. Les danses et les chants le jettent en une extase où sa conscience individuelle se perd, tandis qu’il se sent uni à son ancêtre-animal par la communion la plus intime et la plus profonde. D’où lui viendrait l’idée de douter de ces transformations ? L’attitude que lui fait prendre l’émotion collective s’accompagne nécessairement d’une foi indiscutée. Elle exclut d’avance la critique. Quant aux impossibilités d’ordre anatomique, physiologique, psychologique, si décisives à nos yeux, il n’en a même pas le soupçon. Il sait d’ailleurs, de science certaine, qu’il n’y a rien de si extraordinaire, de si étrange, qui ne puisse arriver, pourvu que la force mystique mise en jeu soit suffisamment puissante.

(My. P., pages 75-76.)

Parenté de l’homme et du totem.

« La parenté d’un homme avec son totem, dit ailleurs Spencer, est bien mise en lumière par la remarque d’un Arunta que nous avions photographié. Nous en causions avec lui, et il dit, en montrant du doigt la photo : Celle-là est tout à fait la même chose que moi, comme l’est un kangourou[1]. » Spencer a pu être aussi étonné d’abord par cette réflexion que von den Steinen, quand les Bororo lui dirent qu’ils étaient des araras. Ces assertions, au premier moment si étranges pour nous, les primitifs les prononcent du ton

  1. B. Spencer, Totemism in Australia. Report of the XIVth meeting of the Australasian Association for the advancement of science, 405 (1902).