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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/90

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le plus naturel. Elles n’ont en effet rien de surprenant ni même de remarquable, à leurs yeux, étant donnée l’idée, chargée d’éléments mystiques, qu’ils se font de l’animal en question. Ils le mettent, comme on l’a vu, sur le même plan que l’homme. La clef de l’énigme — si énigme il y a — se trouve donc bien dans les mythes qui représentent constamment les héros et les ancêtres comme des êtres mihumains et mi-animaux, c’est-à-dire comme participant également aux deux natures. La participation de l’individu actuel avec son totem, dont il a une conscience si sûre, est calquée sur celle-là, dont elle dérive.

C’est elle aussi qui lui dicte sa conduite à l’égard de son totem. L’idée de le traiter comme un animal ou une plante quelconque, si elle pouvait lui venir à l’esprit, provoquerait aussitôt un mouvement de révolte, parfois d’horreur. Ne se sent-il pas intimement uni à lui ? « Il le regarde, dit Strehlow, comme un frère aîné, et on lui fait un devoir de le traiter avec les plus grands égards. Il lui est interdit d’en manger, d’une façon totale ou partielle. Un homme qui appartient au totem du kangourou ne peut frapper brutalement cet animal sur le nez, faisant ainsi jaillir le sang : il ne peut lui donner de coups que sur la nuque. Il a ainsi le droit de tuer son totem, mais seulement avec tous les ménagements possibles[1]. »

(My. P., pages 84-85.)

Partout où l’on croit fermement à la parenté totémique, la communauté de nature qu’elle implique entre l’homme et l’animal ou la plante qui est son totem se manifeste par des ressemblances jusque sur les points où ils nous paraissent le plus différents l’un de l’autre.

Ce que j’essaie de rendre ici en termes généraux et abstraits, le Marind l’exprime concrètement de la façon suivante : « En tout objet se trouve nécessairement l’image du Dema qui l’a « produit », soit en l’engendrant, soit par transformation. Cela correspond aussi toujours à la forme humaine ou animale. Car il faut avant tout qu’un Dema soit pourvu d’organes des sens. Les trois trous de la noix de coco (pour

  1. C. Strehlow, Die Aranda- und Loritja-Stämme in Zentral-Australien, II, p. 58.