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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/91

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les germes) représentent aujourd’hui les yeux et la bouche de la tête du Dema, de qui sont issus les premiers palmiers, etc. »

Il en est de même des autres êtres et objets que le mythe fait remonter aux Dema, leurs « créateurs ». Toutefois, dans la période mythique, « ils différaient de ceux qui existent aujourd’hui, en ce sens que quelque chose d’extraordinaire et d’étrange y restait attaché ; c’étaient encore en quelque mesure des Dema, bien qu’ils ressemblassent davantage aux êtres d’aujourd’hui ». Même les objets fabriqués par la main de l’homme ne font pas exception. Les Marind ne voient rien d’absurde, ni seulement de paradoxal, à dire que « l’arc même a, au fond, la forme humaine, puisqu’il a été produit, lui aussi, par un Dema ». Il existe en effet un mythe développé du Dema-arc, où il est longuement question de sa femme, de ses enfants, de ses aventures, etc. Par conséquent, dans l’arc que les Marind fabriquent aujourd’hui, ils doivent retrouver la forme humaine. De fait, le bois de l’arc, où ils distinguent l’extrémité antérieure (le nez), et la postérieure (les pieds), représente le Dema-arc du mythe. La corde, avec les deux boucles, est la femme du Dema-arc, qui le tient embrassé par le cou, etc.

(My. P., pages 96-98.)

Fraternité du groupe social et de l’espèce animale.

Un groupe social et une espèce animale qui ont été « produits » dans la période mythique, soit par génération, soit de quelque autre manière, par le même ancêtre Dema (qui possédait une double nature animale et humaine), sont des groupes frères, au sens littéral et plein du mot. Ils sont issus d’une même source. Cette communauté d’origine établit entre eux le lien le plus fort qui se puisse imaginer. Participant tous deux de la même substance, ils participent donc l’un de l’autre, et cette quasi-identité de substance apparaît dans le nom qui leur est commun. De même que le Dema-kangourou prenait à volonté la forme de l’animal ou celle de l’homme, de même les hommes, ses descendants, peuvent, à la lettre, être appelés kangourous, à aussi juste titre que les animaux dont il est également l’ancêtre. C’est dire, en d’autres termes, que de temps immémorial, sur la foi du mythe, ce clan a pour totem le kangourou.