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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/93

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sont venus à l’existence, par suite de l’action de certains ancêtres totémiques. On peut remarquer que généralement un centre totémique est un endroit au voisinage duquel l’espèce totémique est très abondante[1]. »

Cette liaison intime entre les cérémonies totémiques, l’endroit où elles doivent se célébrer, l’animal ou la plante totémique, d’une part, et, de l’autre, l’ancêtre mythique qui en est l’origine commune, a été signalée par bon nombre d’observateurs Ils ont fait ressortir l’importance capitale qu’elle a aux yeux des indigènes. « Les totems objets de culte, dit par exemple M. Elkin, sont toujours locaux : c’est-à-dire, chacun d’eux est associé à une portion définie du territoire de la tribu ; par suite, chaque clan totémique a la garde des mythes et des cérémonies qui décrivent ce qu’ont fait les héros de jadis dans sa localité particulière[2]. » Et un peu plus loin, en termes encore plus nets : « Le totem n’a pas seulement des attaches historiques et mythiques. Il en a aussi de locales : c’est-à-dire, il est lié à une aire bien définie du territoire de la tribu. »

(My. P., pages 15-16.)

L’empreinte du mythe sur la nature.

Chez les indigènes des îles Trobriand, le Dr Malinowski a constaté de semblables croyances. « La parole du mythe devient réalité dans le rocher et la colline, dans les changements subis par la terre et la mer. Les couloirs où la mer s’engouffre, les rochers fendus, les êtres humains transformés en pierres, tout cela met le monde mythique en contact immédiat avec les indigènes, le rend tangible et permanent. D’autre part, les histoires (mythes) ainsi puissamment illustrées réagissent à leur tour sur le paysage, le remplissent d’événements dramatiques, qui, fixés là à jamais, lui donnent un sens parfaitement précis[3]. » Le mythe trouve ainsi une illustration dans les traits mêmes du pays où il s’est incorporé. Tel accident de terrain, telle singularité locale

  1. A. R. Radcliffe-Brown, The social organization of Australian tribes. Oceania, I, p. 210 (1930).
  2. A. P. Elkin, The secret life of the Australian aborigines. Oceania, III, p. 128 (1932).
  3. Br. Malinowski, Argonauts of the Western Pacific, p. 330.