Aller au contenu

Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a été l’occasion de la naissance d’un mythe. Inversement, dans la physionomie du pays, les mythes font apercevoir les marques de l’activité des ancêtres.

Même dans une région occupée par les blancs, tant que les indigènes n’ont pas oublié leurs mythes, ils persistent à les voir inscrits dans le sol. La configuration du pays garde à leurs yeux son sens mystique. En Australie centrale, par exemple, chez une tribu Aranda du Nord, Miss Olive Pink, explorant une partie de son territoire, en compagnie du chef, il y a deux ans à peine, celui-ci s’offrit à lui montrer les « ancêtres » (mythiques) qui étaient visibles autour d’eux. C’étaient des arumba-arunga, des deux sexes (littéralement « doubles spirituels », grands-pères paternels), témoignages perceptibles aux yeux de leur existence en cet endroit, au temps dit Alcheringa… Il lui fait voir les « Deux Garçons qui chantent », le « Boomerang de la main gauche », lancé là par un héros d’une distance d’à peu près 120 milles à vol d’oiseau, le « Vieil Homme Porc-Épic » (par Vieil Homme, je pense qu’il voulait dire de la période mythique).

« Ces arumba-arunga étaient des preuves matérielles que ces ancêtres avaient existé jadis sur la terre, ou des preuves de ce qu’ils avaient fait, et ainsi, de leur présence, c’est-à-dire de la présence de ce qu’il y a d’éternel en eux. Il y avait aussi la mère et l’enfant Kangourous Bleus. Je ne sais pas au juste s’il s’agissait d’une « mère » humaine et de son enfant, dont le nom totémique était kangourou bleu, ou d’un kangourou bleu femelle et de son petit.

« Les pierres qu’il me désigna sous ce nom étaient deux morceaux de rocher bleu, un grand et un petit, émergeant du lit sablonneux du cours d’eau (à sec en ce moment).

« Le premier arumba-arunga que nous avions vu, aux yeux aveugles de qui n’était pas indigène, était simplement une colline basse, remarquable cependant par son sommet calcaire blanc qui tranchait sur la teinte bronzée du reste du paysage… Une fois les yeux ouverts par les explications de l’indigène, on pouvait très bien imaginer que c’étaient là les têtes décorées de deux femmes de l’altjira… Elles s’étaient assises là, avaient orné leurs têtes avec de la chaux et des queues de rats blancs…

« À peu près un mille plus loin, nous vîmes le haut de la tête de l’une de ces femmes, mais on n’apercevait plus que