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recherche du Logos, ne pourraient-ils pas lui répondre par les paroles du Logos-Messie : « Celui qui aura conservé sa vie, la perdra ; mais celui qui aura perdu sa vie à cause de moi, la retrouvera » ?

J’admets que mon Memento mori ne produira aucune impression sur les représentants de la philosophie scientifique ; mais ce que je ne puis admettre, c’est qu’ils aient recours à l’Évangile. Dans les Évangiles, il est vrai, Dieu est appelé Logos ; mais peut-on identifier le Logos des Évangiles avec celui des philosophes ? Et puis, la philosophie de Husserl qui récuse la sagesse, consentira-t-elle jamais à admettre qu’elle ne peut se passer dans ses recherches de l’appui douteux d’un jeune juif qui, il y a deux mille ans, fut condamné, bien qu’innocent, à une mort infamante ? L’argumentation de Husserl est fondée sur les évidences ; a-t-elle le droit d’invoquer les paroles de l’Évangile ? Dostoïewsky, lui, pouvait prendre comme épigraphe à ses Frères Karamazov un passage de saint Jean (XII, 14) ; mais je ne crois pas que Husserl accepte l’écrivain russe comme compagnon de route. Jamais, dans aucun de ses écrits, Husserl ne s’appuie sur l’autorité des Écritures, et je suis certain qu’il n’approuvera pas le procédé qu’emploie Hering pour, la défense de la phénoménologie.

Après la phrase de Hering citée plus haut, on comprendra qu’il considère comme inexact mon exposé des idées de Husserl. J’avais tâché de montrer que Husserl se sépare de la façon la plus radicale de la sagesse et de la profondeur de pensée ; mais Hering assure que j’exagère et que Husserl ne renonce pas à la sagesse aussi complètement que je l’affirme, et admet même qu’elle peut être pratiquement utile. Or, c’est précisément ce que je dis dans mon article. Pourquoi donc Hering insiste-t-il sur ce point ? Il dit : « Le philosophe ne se trouve pas du tout dans l’obligation d’effectuer un choix… Personne ne peut forcer un homme à se désintéresser de son âme pour la raison que sa spécialité — que ce soit la chimie ou la philosophie scientifique — ne s’occupe pas de ces questions. » Je n’ai certes rien dit de tel ; mais je prends sur moi d’affirmer que Husserl n’acceptera pas un mot de ce que déclare ici Hering. De telles idées avaient souvent couru vers la fin du siècle dernier et au début de ce siècle ; aujourd’hui encore, d’ailleurs, bien des philosophes pensent ainsi. Mais ce point de vue n’a rien de husserlien et est aussi étranger à Husserl que le relativisme spécifique qui satisfaisait et satisfait encore tant d’esprits… « Le philosophe ne se trouve pas du tout dans l’obli-