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Il faut distinguer de ces perceptions la cause physique qui les produit, le choc à la fenêtre, et nous observons que, là-dessus, notre faculté a priori ne nous apprend rien. Il se passe un temps petit, mais fini, jusqu’à ce que le bruit ait franchi la distance de la fenêtre à mon oreille. Pour les besoins de chaque jour, il suffit de poser ce temps égal à 0, et alors nous disons aussi que les chocs eux-mêmes sont simultanés parce que les perceptions le sont. Mais pour des mesures exactes on ne peut plus faire cette approximation et l’on sait que les physiciens ont inventé des dispositifs très précis qui peuvent mesurer encore des différences de temps aussi petites. Il y a aussi des cas où ces différences deviennent assez grandes pour que, même pour les besoins de chaque jour, nous ne puissions plus les supposer nulles, par exemple lorsqu’on entend le bruit d’un canon à grande distance.

Nous arrivons ainsi à reconnaître un fait important. Il est nécessaire de distinguer entre simultanéité au même lieu » et « simultanéité en des lieux différents ». La première simultanéité seule nous est donnée immédiatement par un jugement fondé sur la perception. L’arrivée des signaux à mon oreille est une simultanéité immédiate de ce genre. Au contraire, si les événements se produisent en des points différents de l’espace, le jugement immédiat de la simultanéité fait défaut ; il faut que d’un premier point (le canon), un signal (le son) soit envoyé à un second point et là seulement se produit un jugement immédiat de simultanéité. Ce jugement concerne exclusivement l’arrivée du signal comparée avec un événement local, par exemple avec la position des aiguilles de ma montre.

La « simultanéité au même lieu a peut donc être reconnue directement à l’aide d’une faculté immanente, tandis que la simultanéité en des lieux différents » peut seulement être déduite. Il faut nier que la simultanéité soit évidente comme fait psychologique, sitôt qu’il s’agit de points éloignés dans l’espace. Nous arrivons ainsi au problème de la simultanéité tel qu’il se pose dans la théorie de la connaissance : Comment se fait le passage de la simultanéité vécue au même lieu, de la « coïncidence », à la simultanéité en des points différents, qui ne peut être vécue ? C’est en posant la question de la sorte que nous arriverons au but, car manifestement nous venons d’énoncer le problème de la simultanéité sous la forme appropriée à la théorie du savoir.

Pour effectuer cette déduction, nous avons besoin de connaître