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Page:L’Œuvre de P.-C. Blessebois, 1921.djvu/54

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L’ŒUVRE DE P.-CORNEILLE BLESSEBOIS


Et dont les traits divins, qu’on ne saurait décrire,
Ont porté dans mon sein un désiré martyre. »
Mais voyant qu’à ces mots, qu’un sourd aurait ouïs,
Son berger répondait par des pleurs inouïs,
Et ne devinant pas d’où procédait sa peine :
« Quel chagrin règne en toi, forgeron de ma chaîne,
Lui dit-elle en portant la main dessus son front ;
Ta langueur est subite et ton ennui bien prompt.
Serait-ce que peut-être un loup, dans sa furie.
Aurait porté sa dent parmi ta bergerie ?
Te serait-il bien mort cette nuit, l’agnelet
Dont la mère malade est ingrate de lait ?
Ou ton joli pinson, en brisant son servage,
Ne s’est-il point sauvé par les trous de sa cage ?
Mais quoi ! tu ne dis mot ; réponds, malicieux ;
Je ne puis deviner ta peine à voir tes yeux.
Hélas ! de quel soupçon tu me rends alarmée !
N’est-ce point qu’en ton cœur je ne suis plus aimée ?
Que, perfide et léger, tu cours au changement
Et dresse à mon amour un fatal compliment ?
Pourrais-tu bien penser à quelqu’autre bergère,
Et fouler, loin de moi, l’herbette et la fougère ?
Et vous souffririez-vous, grands dieux, qu’en nos hameaux
Quelqu’un osât éteindre en nous des feux si beaux ?
Ou, s’il en est ainsi, comme cela peut être,
À quel dessein, hélas ! les avez-vous fait naître ?
Retire-moi, Lubin, de ce doute mortel,
Vante-moi promptement ton amour immortel,
Car si dans le venin d’une telle pensée
Mon âme plus longtemps demeurait abaissée,
Tu me verrais sécher sous le poids de mes fers,
Comme un troupeau qui voit un sorcier de travers. »