Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/104

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face celui qui a mis à mort ses gens dont il a fait devant lui un horrible monceau ; quand il voit l’eau du fossé toute souillée de sang, il lui semble être en présence d’Horace défendant seul un pont contre toute l’armée toscane. Pour son propre honneur, et pour qu’il ne lui en coûte pas plus cher, il fait, et cela sans peu de peine, retirer les siens.

Et levant la main nue et sans armes, signe habituel de trêve ou de paix, il dit a Griffon : « Je ne puis que reconnaître mes torts et déclarer que je suis fâché de ce qui est arrivé. C’est mon peu de jugement, et les instigations d’autrui, qui m’ont fait tomber dans une telle erreur. Le traitement que je croyais faire subir au plus vil guerrier du monde, je l’ai fait subir au plus noble.

« Mais l’injure et l’affront qui t’ont été faits aujourd’hui par erreur sont bien égalés, je devrais plutôt dire effacés et surpassés, par la gloire que tu viens d’acquérir. Cependant je te donnerai promptement, selon mon savoir et ma puissance, toute satisfaction, quand je connaîtrai comment je peux le faire, soit en t’offrant de l’or, soit en te donnant des châteaux et des villes.

« Demande-moi la moitié de ce royaume ; je suis prêt à t’en rendre aujourd’hui possesseur. Et ta haute valeur ne te rend pas seulement digne d’une telle récompense, mais elle t’a gagné mon cœur. Donne-moi ta main en signe de foi et d’éternelle amitié. » À ces mots, il descend de cheval, et tend à Griffon la main droite.