Aller au contenu

Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que je l’ai laissée dans les pleurs, pour aller en France retrouver ma famille.

« Mais je n’ai pu achever mon voyage, ayant été poussé sur ce rivage par la tempête. Voilà dix mois, ou plus peut-être, que j’y suis retenu, et que j’y compte les jours et les heures. Mon nom est Guidon le Sauvage. Il est encore connu par peu d’exploits. Je tuai ici Argilon de Mélibée et dix chevaliers qu’il avait avec lui.

« Je subis également l’épreuve des donzelles. Maintenant j’en ai dix à ma disposition pour mes plaisirs. Je les ai choisies parmi les plus belles, et elles sont en effet les plus gentes de tout le royaume. Je leur commande ainsi qu’à toutes les autres, car elles m’ont remis le sceptre et le gouvernement, comme elles le donneront à quiconque verra la fortune lui sourire, et mettra les dix champions à mort. »

Les chevaliers demandent à Guidon pourquoi il y a si peu d’hommes dans le pays, et pourquoi ils-sont assujettis aux femmes, comme celles-ci le sont à leurs maris dans les autres contrées. Guidon leur dit : « J’en ai entendu souvent raconter le motif depuis que je demeure en ces lieux, et puisque cela vous est agréable, je vais vous le répéter comme je l’ai entendu moi-même.

« À l’époque où les Grecs revinrent de Troie, après vingt années d’absence — le siège avait duré dix ans, et ils furent pendant dix ans le jouet des vents contraires — ils trouvèrent que leurs femmes, pour se consoler des chagrins d’une si longue