Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/192

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Zerbin avait en vain parcouru la forêt à la poursuite de celui qui lui avait fait cet outrage, mais ce dernier s’était échappé assez à temps pour avoir une grande avance. À la faveur du bois et d’un brouillard épais qui avait voilé les rayons d’un soleil matinal, il avait pu éviter la main redoutable de Zerbin, jusqu’à ce que la colère et la fureur lui fussent sorties du cœur.

Bien qu’encore enflammé de colère, Zerbin ne put s’empêcher de rire, en voyant la vieille, dont la figure ridée faisait un contraste bizarre avec les vêtements de jeune fille qu’elle portait. S’adressant à Marphise qui chevauchait à côté d’elle, il dit : « Guerrier, tu es plein de prudence, car tu as choisi, pour t’escorter, une damoiselle de prestance telle que tu n’as pas à craindre de rencontrer âme qui te l’envie. »

La vieille, autant qu’on pouvait en juger par sa peau ridée, était plus âgée que la Sibylle, et ressemblait, ainsi parée, à une guenon qu’on aurait habillée pour se divertir. La colère qui brillait dans ses yeux la faisait paraître encore plus laide. La plus grande injure que l’on puisse faire à une femme, c’est de la traiter de vieille ou de laide.

Marphise, qui prenait plaisir à ce jeu, feignit de s’indigner, et répondit à Zerbin : « Par Dieu, ma dame est plus belle que tu n’es courtois. Mais je crois que tes paroles ne rendent pas exactement ta pensée ; tu feins de ne pas reconnaître sa beauté pour excuser ton extrême lâcheté.