Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/202

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dont je ne sais comment tu es devenu le champion, car elle est trop indigne de ta vaillance. Et, quand tu connaîtras la raison qui me poussait à me venger d’elle, tu regretteras, chaque fois que tu t’en souviendras, de m’avoir donné la mort pour la sauver.

« Et si j’ai assez de souffle dans la poitrine — mais je crains le contraire — pour pouvoir te le dire, je te ferai voir que cette misérable est de tous points la plus scélérate des créatures. J’eus autrefois un frère qui, tout jeune, partit de Hollande, notre pays, et entra, en qualité de chevalier, au service d’Héraclius, qui possédait alors l’empire souverain des Grecs.

« Là, il devint l’ami intime, le frère d’un noble baron de la cour, qui avait, sur les confins de la Serbie, un château situé dans un site agréable, et entouré de fortes murailles. Celui dont je parle se nommait Argée. Il était l’époux de cette femme inique, et il l’aimait tellement, qu’il avait dépassé les bornes qui convenaient à un homme aussi digne que lui.

« Mais celle-ci, plus légère que la feuille que l’automne a privée de sa sève et que le vent glacé fait tomber des arbres et chasse avec fureur devant lui, ne tarda pas à oublier l’affection qu’elle avait eue pendant quelque temps pour son mari. Elle tourna toutes ses pensées, tous ses désirs vers mon frère, dont elle voulut faire son amant.

« Mais l’Acrocéron, au nom maudit, résiste moins à l’impétuosité des flots ; le pin dont la ramure