Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/212

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armes, de la déchirer avec les dents ; mais la raison l’arrête.

« De même que le navire, fouetté en pleine mer par deux vents contraires, dont l’un le pousse en avant et l’autre le ramène à son point de départ, tourne sur lui-même jusqu’à ce que le plus puissant des deux l’entraîne enfin, ainsi Filandre, agité par deux pensées qui se combattent dans son esprit, prend le parti le moins dangereux.

« La raison lui montre le grand péril qu’il court si le meurtre vient à être connu dans le château. Outre la mort, c’est le déshonneur qui l’attend. Sa résolution est enfin prise ; qu’il le veuille ou non, il est forcé de boire l’amer calice ; la crainte l’emporte sur l’obstination dans son cœur désolé.

« Par crainte du supplice infâme, il promet à Gabrine qu’il fera tout ce qu’elle veut, s’ils peuvent s’échapper en sûreté de ces lieux. Ainsi l’implacable femme cueillit de force le fruit de son désir ; puis tous deux abandonnèrent ces murs, et Filandre revint parmi nous, laissant en Grèce un souvenir infamant et honteux.

« Il emportait dans son cœur l’image de l’ami qu’il avait si sottement tué pour satisfaire, à son grand désespoir, la passion impie d’une Prognée cruelle, d’une Médée. Si la foi de son serment ne l’eût point retenu sous un grand et dur frein, il l’aurait mise à mort. Mais sa haine pour elle s’augmenta encore si c’était possible.

« Jamais, depuis cette époque, on ne le vit sourire ; toutes ses paroles étaient tristes, et de sa poi-