Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/243

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plus souvent, ne peut consentir à voir souffrir à tort un innocent, sauva la dame, de même qu’il sauvera tous ceux qui vivent exempts de félonie.

Pinabel pensait avoir mis naguère cette damoiselle à mort, et la croyait profondément ensevelie ; il ne s’attendait pas à la revoir jamais, et encore moins à recevoir d’elle le prix de ses crimes. Il ne lui servit de rien non plus de se tenir enfermé dans le château de son père, à Hauterive, situé près du territoire de Poitiers, au milieu de montagnes sauvages.

Le vieux comte Anselme tenait ce castel d’Hauterive ; c’était de lui que sortait ce traître qui, pour échapper à la vengeance des Clermont, n’eut pas même le secours d’une main amie. Bradamante, au pied d’une montagne, lui arracha sans peine son indigne vie, car il ne sut se défendre qu’en poussant des cris de terreur et en demandant merci.

Dès qu’elle eut donné la mort au faux chevalier qui avait naguère essayé de la tuer elle-même, elle voulut retourner là où elle avait laissé Roger. Mais son destin contraire ne le lui permit pas, et la poussa par un sentier qui la conduisit dans la partie la plus épaisse, la plus sauvage et la plus solitaire du bois, au moment où le soleil laissait le monde plongé dans les ténèbres.

Ne sachant où elle pourrait passer la nuit ailleurs, elle s’arrête en cet endroit, sous la feuillée et sur l’herbe nouvelle, jusqu’à ce que le jour revienne, tantôt dormant, tantôt contemplant Saturne ou Jupiter, Vénus ou Mars et les autres