Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/269

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leur, qu’elle compense bien tous les avantages passés.

Trois, quatre et six fois, l’infortuné relit ces vers, s’efforçant en vain d’y trouver autre chose que ce qui y est écrit ; il le voit, au contraire, toujours plus clair et plus compréhensible. À chaque fois, il sent son cœur comprimé dans sa poitrine comme par une main glacée. Enfin il reste les yeux fixés sur le rocher, quoique son esprit en soit bien loin.

Il est près de perdre la raison, tellement il se livre en proie à la douleur. Croyez-en celui qui en a fait l’expérience, cette souffrance surpasse toutes les autres. Le menton sur la poitrine, il courbe un front privé d’audace. Sa douleur est si poignante, qu’il ne peut ni se plaindre ni pleurer.

Sa douleur impétueuse, et qui veut sortir trop vite et toute à la fois, reste concentrée dans son cœur. Ainsi nous voyons l’eau, enfermée dans un vase au large ventre et au col resserré, rester dans le vase quand celui-ci est renversé ; le liquide, qui voudrait s’échapper, se presse tellement dans l’étroit goulot, que c’est à peine si elle sort goutte à goutte au dehors.

Roland revient un moment à lui ; il pense encore que la chose peut n’être pas vraie ; quelqu’un aura sans doute voulu diffamer le nom de sa dame, ou lui inspirer à lui-même une telle dose de jalousie, qu’elle le fasse mourir ; il le croit, il le désire, il l’espère. Mais, quoi que ce soit, celui qui l’a fait a bien imité la main d’Angélique.