Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/313

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soupire, elle pleure, et montre une douleur immense.

« Quiconque aurait ce jour-là été témoin de son désespoir et de ses pleurs, aurait pleuré avec elle, « Quels.tourments — disait-elle — furent jamais plus cruels que les miens ? A tout autre amour, coupable ou permis, je pourrais espérer une fin désirée ; je saurais séparer la rose de ses épines. Seul mon désir est sans espoir.

« Si tu voulais, Amour jaloux de mon heureux destin, me faire sentir tes rigueurs, ne pouvais-tu te contenter de me faire subir les maux ordinaires aux autres amants ? Parmi les hommes, ni parmi les animaux, je n’ai jamais vu une femelle s’éprendre d’amour pour une autre femelle. Une femme ne paraît point belle aux autres femmes, pas plus que la biche à la biche et la brebis à la brebis.

« Sur la terre, dans les airs, au sein des ondes, je suis seule à souffrir une telle cruauté de ta part, et tu as voulu, en agissant ainsi, montrer, par une funeste erreur, jusqu’où peut aller ton pouvoir. L’épouse du roi Ninus, qui aima son fils, éprouva un désir impie et coupable ; il en fut de même pour Myrrha, qui aima son père, et pour Pasiphaë, la Crétoise, qui s’éprit d’un taureau. Mais mon désir est plus extravagant encore qu’aucun de ceux-là.

« Dans les cas que je viens de citer, la femelle prit toujours un mâle pour objet de ses désirs ; elle pouvait espérer les satisfaire, et, comme je