Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/312

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« Ma sœur s’était bien aperçue que la dame s’était trompée à son endroit. Ne pouvant lui venir en aide, en cette circonstance, elle se trouvait dans un grand embarras. Il vaut mieux, pensa-t-elle, la détromper de sa fausse croyance, et me faire connaître pour une femme gentille, que de me laisser passer pour un homme ridicule.

« Et elle disait vrai ; car c’eût été vraiment une infamie de la part d’un homme, de rester comme un marbre devant une si belle dame, pleine de grâces et d’agaceries, et de se borner à la payer de paroles, en tenant l’aile basse comme un coucou. De son air le plus aimable, ma sœur lui explique comme quoi elle est une damoiselle ;

« Qu’elle cherche à acquérir la gloire des armes, comme jadis Hippolyte et Camille. Elle lui dit qu’elle était née en Afrique, sur le bord de la mer, dans la cité d’Arzille, et que, dès sa plus tendre enfance, elle avait été habituée à manier l’écu et la lance. » Cette confidence n’amortit pas une étincelle du feu qui consumait la dame énamourée. Le remède venait trop tard pour guérir la plaie faite par le trait qu’Amour avait enfoncé si profondément.

« Le visage de Bradamante ne lui en paraît pas moins beau, son regard moins doux, ses manières moins séduisantes. Elle ne peut reprendre possession de son cœur qui déjà ne lui appartient plus. En voyant ma sœur sous cet habit, il lui semble impossible de ne pas se consumer de désir pour elle, et quand elle songe que c’est une femme, elle