dix se sauvèrent à la nage sur le navire. Le monstre aveugle, après avoir saisi les autres, les mit en paquet, les uns sous son bras, les autres sur sa poitrine ; il en remplit également une vaste gibecière qui lui pendait au flanc, comme à un berger.
« Puis il nous emporta dans sa tanière creusée au milieu d’un écueil sur le rivage, et qui était en marbre aussi blanc qu’une feuille de papier sur laquelle il n’y aurait encore rien d’écrit. Là habitait avec lui une matrone au visage accablé de douleur et de deuil. Elle était entourée de dames et de damoiselles de tout âge, de toute condition, les unes laides, les autres belles.
« Tout auprès était une grotte non moins vaste, où l’Ogre renfermait ses troupeaux. Il en avait tellement qu’on ne pouvait les compter. Il les conduisait au pâturage été comme hiver, les sortant et les enfermant lui-même à des heures fixes. Il les avait plutôt comme passe-temps que pour son usage.
« La chair humaine lui semblait meilleure. Il nous le fit bien voir : à peine arrivé dans son antre, il mangea trois d’entre nous, ou plutôt il les engloutit tout vivants. Puis il alla vers la seconde grotte, souleva un grand rocher, en fit sortir le troupeau, à la place duquel il nous enferma, et partit pour le mener selon son habitude au pâturage, en jouant d’un chalumeau qu’il portait au cou.
« Cependant notre prince, de retour sur le