Aller au contenu

Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ger. Toutes les lois portent que quiconque a donné la mort à autrui, doit mourir à son tour. Ton sort, du reste, ne saurait être comparé au mien : tu mourras coupable, et moi je meurs innocente. J’aurai tué celui qui désire, hélas ! me voir mourir ; mais toi, cruel, tu auras causé le trépas de qui t’aime et de qui t’adore.

« Ô ma main, pourquoi hésites-tu à ouvrir avec ce fer le cœur de mon ennemi ? Ne m’a-t-il pas si souvent blessée à mort, alors que je goûtais en sûreté la paix de l’amour ; et maintenant, ne me laisse-t-il pas mourir sans avoir pitié de ma douleur ? Ô mon âme, sois forte contre cet impitoyable ; venge par la mort les mille morts qu’il m’a fait souffrir. »

Ce disant, elle éperonne son cheval ; mais, avant de frapper, elle crie : « Garde-toi, perfide Roger ; s’il est en mon pouvoir, tu ne te pareras point des dépouilles opimes d’une damoiselle au cœur fier. » Roger entend ces paroles. Il lui semble, ce qui est vrai, que c’est sa femme qui les a dites. Le son de sa voix est si bien gravé dans sa mémoire, qu’il la reconnaîtrait entre mille.

Il comprend que ces paroles signifient beaucoup plus qu’elle n’en dit ; il comprend qu’elle l’accuse de n’avoir pas observé la convention conclue entre eux. Désireux de s’excuser, il lui fait signe qu’il veut lui parler. Mais déjà Bradamante, la visière baissée, et poussée par la douleur et par la rage, accourait pour le désarçonner, sans regarder si elle le jetterait sur la terre ou sur le sable.