Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/286

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Roger, la voyant si enflammée de colère, s’affermit sur sa selle et met sa lance en arrêt ; mais il la tient de façon qu’elle ne puisse nuire à Bradamante. La dame, qui venait avec la ferme intention de le frapper sans pitié, ne peut se décider, quand elle est près de lui, à le jeter à terre et à lui faire un tel outrage.

C’est ainsi que leurs lances à tous deux frappent dans le vide. C’est bien assez qu’Amour joute contre l’un et l’autre, et leur perce le cœur d’une lance amoureuse. La dame, ne pouvant se décider a déshonorer Roger, tourne ailleurs la fureur qui lui brûle la poitrine. Elle accomplit des exploits qui resteront fameux tant que le ciel tournera.

En quelques instants, avec cette lance d’or, elle jette par terre plus de trois cents ennemis. Elle seule décide de la bataille ; elle seule met en fuite l’armée des Maures. Roger tourne d’un côté et d’autre, jusqu’à ce qu’il ait pu l’aborder. Alors il lui dit : « Je meurs si je ne te parle. Hélas ! que t’ai-je fait pour que tu doives me fuir ? Écoute, de par Dieu ! »

Comme aux tièdes haleines du vent du sud qui s’élève de la mer en chauds effluves, on voit se fondre les neiges, les torrents et les glaces les plus compactes, ainsi, à ces prières, à ces brèves plaintes, le cœur de la sœur de Renaud, rendu par la colère plus dur que le marbre, redevient soudain pitoyable et tendre.

Elle ne veut ou ne peut lui répondre ; mais elle éperonne Rabican et le fait sortir de la mêlée,